Sujet d’actualité cette année : la légalisation prochaine du cannabis. Nous connaissons plusieurs personnes qui consomment du cannabis à usage médical ; traumatisés crâniens, blessés médullaires, etc. pour les aider à gérer leur spasticité et leurs douleurs. Je me suis demandé quels seraient les impacts de la légalisation du cannabis sur les patients qui ne l’utilisent pas à des fins “récréatives”, mais bel et bien à des fins médicales. Voici ce que j’ai trouvé sur le sujet.
Historique :
Le cannabis a été d’abord prohibé en 1923 à l’ensemble des canadiens. Ensuite, l’accès à la marijuana séchée à des fins médicales a pour la première fois été accordé en 1999 (1), ce qui a mené au Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales (RAMFM) en 2001. Les moyens de se procurer le cannabis à ce moment était la production personnelle (faire pousser son propre plan), ou désigner une personne chargée de cette production. Une autorisation d’un practicien de la santé (prescription) était nécessaire(1), et le demeure encore aujourd’hui.
Plusieurs décisions de tribunaux ont apporté des modifications à ce règlement. En 2013, des modifications plus majeures donnent un nouveau nom au règlement : Règlement sur la marihuana à des fins médicales (RMFM). Cette fois, on établissait que la production devait être faite par une industrie commerciale pour mieux contrôler la qualité, la sécurité, et l’aspect sanitaire. Les gens ne pouvaient donc plus produire leur propre marijuana séchée(1).
En 2015, la cour suprême du Canada a tranché que le fait de restreindre l’accès à la marijuana à la forme “séchée” était inconstitutionnel. Des exemptions au règlement ont permis aux producteurs de fournir de l’huile de cannabis, des feuilles fraîches, des bourgeons, en plus de la marijuana séchée aux demandeurs. Les utilisateurs pouvaient aussi transformer eux-mêmes leurs produits de cannabis(1).
En 2016, le Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicales (RACFM) a vu le jour, suite à une décision de la cour fédérale du Canada. Cette dernière stipulait que d’exiger à des personnes de se procurer leur marijuana médicale seulement auprès de producteurs autorisés violait les droits de liberté et de sécurité protégés par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. On estimait que les personnes n’avaient pas un “accès raisonnable”. Avec ce règlement, les producteurs continuent d’exercer de la même façon. Simplement, les consommateurs de cannabis médical peuvent en faire eux-même la production (ou désigner une personne autorisée). Ils doivent être inscrits et enregistrés auprès de Santé Canada(1).
En avril 2016, le gouvernement canadien a annoncé son intention de déposer, au printemps 2017, un projet de loi pour la légalisation du cannabis à des fins non médicales(2).
Données probantes / recherches sur le cannabis
Est-ce que le cannabis est vraiment efficace pour gérer la douleur ? Une revue de la littérature scientifique a été faite très récemment, en 2017(3). Elle n’a relevé que peu d’études, et les conditions d’administration étaient très hétérogènes. La marijuana semblait avoir un impact sur la douleur, mais non significatif au niveau de l’analyse des données. Elle semblait être plus efficace lorsqu’inhalée, plutôt qu’ingérée oralement. Ainsi, elle présentait également moins d’effets secondaires au niveau gastro-intestinal. La conclusion de cette revue est que nous nécessitons des recherches approfondies pour mieux comprendre l’effet
L’impact sur la qualité de vie n’est pas certain. Quelques conditions médicales (ex : sclérose en plaques) rapportent une amélioration, alors que d’autres (ex : porteurs du VIH) rapportent une diminution de qualité de vie avec la consommation. Cet aspect nécessite aussi davantage de recherches (4). Est-ce que ça dépend de la condition?
Pour la spasticité, une recherche utilisant une molécule du cannabis (cannabidiol) a démontré des effets significatifs pour diminuer la spasticité chez des gens atteints de sclérose en plaques(5). Peu de revues approfondies sur les effets sur la spasticité semblent avoir été faites. Celles relevées ont été faites auprès des gens souffrant de sclérose en plaques. Pour les blessés médullaires, traumatisés crâniens, etc., il y a bien quelques études, mais elles comportent très peu de participants, et ont des méthodologies moins rigoureuses… Rien qui nous permet d’avoir des certitudes, ni d’obtenir des recommandations franches.
Donc, ça a des effets? Les gens nous en rapportent. Alors sans doute, mais la science ne nous permet pas de savoir présentement quels sont les effets exacts. Nous ne sommes pas certains : Quelles conditions? Quelles doses? Il faudrait aussi clarifier quelle molécule dans la marijuana fait effet sur quoi. Finalement, il faudrait savoir quelles sont les interactions possibles avec les autres médications prises(6).
Pourquoi y a-t-il si peu d’études sur le sujet? Sans doute parce que la possession est interdite et ce, même pour les équipes scientifiques ! La légalisation serait donc intéressante dans une optique où nous voulons mieux détailler les effets possibles de cette plante sur le corps humain par des études scientifiques.
Impacts de la légalisation sur le cannabis à fin médicale
“Le 30 juin 2016, la ministre de la Justice et procureur général du Canada, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et la ministre de la Santé ont annoncé la création d’un groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis” (7). Ce groupe de travail avait pour mission de questionner les divers groupes qui seraient impliqués directement dans ce changement qu’apporterait la légalisation. Le rapport final de ce groupe est disponible en ligne : https://canadiensensante.gc.ca/task-force-marijuana-groupe-etude/framework-cadre/alt/framework-cadre-fra.pdf. Je me suis intéressé plus spécialement au chapitre qui porte sur l’accès médical.
Les principaux intéressés ont été questionnés: les utilisateurs. Ont aussi été questionnés les médecins et les pharmaciens,
J’ai été surprise de constater que la légalisation de la marijuana semble inquiéter plusieurs consommateurs de cannabis à fins médicales. Cependant, je comprends leur point de vue.
D’aller chercher une prescription médicale dans un environnement de vente au détail non médical semble peu attrayant. Les gens n’ont pas envie de devoir divulger des renseignements médicaux personnels dans ce contexte. Aussi, comme il sera en vente libre et, dans plusieurs cas, récréatif, le cannabis sera un produit taxé (et deux fois plutôt qu’une au Québec!). La plupart des médicaments au Canada sont, au moins, exempt de taxe. Est-ce que les prix augmenteront pour les consomateurs actuels? Plusieurs ont apporté l’idée que le cannabis médical soit distribué en pharmacie. Cependant, pour se faire, le cannabis devrait être approuvé comme médicament par Santé Canada (ce qui n’est pas le cas présentement). Cela nécessiterait plusieurs études, comme je le mentionnais plus tôt, pour établir les interactions médicamenteuses, détailler les effets secondaires, préciser les dosages, etc. Aussi, les pharmaciens ne se sentent pas assez bien informés pour bien assister les utilisateurs avec leurs prescriptions de cannabis. Finalement, les médecins se retrouvent, bien souvent, dans la même situation d’inconfort, étant donné le manque d’informations et de données probantes(7).
Ce comité de travail a recommandé de maintenir la RACFM pendant une période d’au moins cinq ans après que la légalisation soit effective. Cela permettra aux gens de continuer leur approvisionnement tel qu’actuellement, et laissera le temps aux recherches scientifiques d’avoir lieu. Il faudra ensuite réévaluer la pertinence d’un tel régime – à savoir si le cannabis (ou au moins une de ses molécules) sera reconnu comme un médicament par Santé Canada.
Et pourquoi ne pas “s’automédicamenter?”
Si vous achetez un pot de tylenol à la pharmacie, vous pouvez vous automédicamenter… en suivant les indications, et en lisant les contre-indications. Toute substance qui entre dans votre corps amène son lot de risques, certains plus que d’autres. Le cannabis comporte un aspect de dépendance, comme on le sait tous. Il agit aussi directement sur notre cerveau. La société canadienne de psychologie a fait un document très intéressant qui relève des effets possibles. https://www.cpa.ca/docs/File/Position/Position_Paper_Recommendations_for_the_Legalization_of_Cannabis_in_Canada-September_2017-FRENCH.pdf
Diminution d’attention, de mémoire… et effets qui peuvent devenir permanent si consommation prolongée et régulière. Risque d’accident de la route, risque d’apparition de psychose, petite corrélation entre prise cannabis et trouble bi-polaire et maniaco-dépressif…(7)
Vous voulez consommer du cannabis de manière régulière pour gérer vos douleurs, vos symptômes dépressifs ou votre spasticité? Mieux vaudrait demander conseil à un professionnel.
La société canadienne de psychologie (SCP) semble tout de même satisfaite de la légalisation prochaine : “La légalisation du cannabis au Canada est susceptible d’améliorer le contrôle de la sécurité et de la qualité du produit. De plus, elle sera peut-être à même d’éliminer l’élément criminel du marché du cannabis et les conséquences négatives qu’engendre le marché illicite ou le marché noir. La SCP se préoccupe depuis longtemps de l’inaccessibilité des traitements psychologiques fondés sur des données probantes pour soigner les problèmes de santé mentale et la toxicomanie, car ces interventions ne disposent pas des ressources adéquates de la part de du régime public de soins de santé et des régimes privés d’assurance-maladie. La légalisation du cannabis entraînera une augmentation des recettes fiscales pour les gouvernements, lesquelles pourraient être affectées à la prévention et au traitement des problèmes de santé mentale et de toxicomanie. “(7)
Vous voulez en savoir plus ?
Il y a une page de questions / réponse créée par le gouvernement des territoires du Nord-Ouest. Une petite partie à la fin s’adresse spécifiquement à ce territoire, mais le reste du document est très intéressant.
https://www.eia.gov.nt.ca/sites/eia/files/cannabis_-_qas_for_public_engagement_final_fr.pdf
Vous y trouverez des questions comme :
Q: Le gouvernement du Canada légalisera-t-il les denrées comestibles qui contiennent du cannabis ou de ses dérivés (comme le THC)?
R. Il est prévu qu’une loi sur les produits de cannabis comestibles soit présentée environ six mois après la prise d’effet de la Loi sur le cannabis.
Bibliographie
1 – https://www.canada.ca/fr/sante-canada/services/publications/medicaments-et-produits-sante/comprendre-nouveau-reglement-sur-acces-au-cannabis-fins-medicales.html?_ga=2.81941718.1197385501.1515521637-865484223.1509584446
2- https://www.inspq.qc.ca/dossiers/cannabis/contexte-legal-du-cannabis-au-canada
3 – Aviram, J., & Samuelly-Leichtag, G. (2017). Efficacy of Cannabis-Based Medicines for Pain Management: A Systematic Review and Meta-Analysis of Randomized Controlled Trials. Pain Physician, 20(6), E755-E796.
4 – Goldenberg, M., Reid, M. W., IsHak, W. W., & Danovitch, I. (2017). The impact of cannabis and cannabinoids for medical conditions on health-related quality of life: A systematic review and meta-analysis. Drug & Alcohol Dependence, 17280-90. doi:10.1016/j.drugalcdep.2016.12.030
5 – Syed, Y., McKeage, K., & Scott, L. (2014). Delta-9-Tetrahydrocannabinol/Cannabidiol (Sativex): A Review of Its Use in Patients with Moderate to Severe Spasticity Due to Multiple Sclerosis. Drugs, 74(5), 563-578. doi:10.1007/s40265-014-0197-5
6 – https://canadiensensante.gc.ca/task-force-marijuana-groupe-etude/framework-cadre/alt/framework-cadre-fra.pdf
7- https://www.cpa.ca/docs/File/Position/Position_Paper_Recommendations_for_the_Legalization_of_Cannabis_in_Canada-September_2017-FRENCH.pdf